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25 juin 2009

KENYA #43 : LOST

KENYA_Lost

On s'était donné un jour pour rejoindre le parc de Masaï Mara (à l'ouest) en partant d'Amboseli (plus à l'est).

La question se pose de choisir le bon itinéraire à la sortie de Kaijado... On peut rester sur les routes nationales (en rouge), mais on sait très bien qu'elles sont presque aussi mauvaises et dangereuses que les pistes (en jaune). Et puis à la vitesse où on roule, un détour coûte vraiment beaucoup de temps et de fatigue - et on préfère éviter d'avoir à repasser par les alentours embouteillés et impraticables de Nairobi...
Le choix est fait : on prendra la piste.

Très vite, on ne regrette pas notre choix : les routes sont magnifiques, et les paysages incroyables. À la lumière changeante du soleil les falaises qu'on longe deviennent terre battue, pourpre, rouge éclatant... Puisque nous avons campé les nuits précédentes, les batteries de deux de nos appareils photo sont à plat. Heureusement, celui de Renaud fonctionne avec de vraies piles, ce qui nous permet d'immortaliser ces endroits.

Mais deux heures plus tard, on est un peu paumés. Enfin, pas vraiment... on sait exactement où l'on est : à Kaijado, notre point de départ !
On se fait un peu conseiller par des routiers, qui nous indiquent de passer par Nairobi. Mais on a pris goût au pays, et on refuse les routes balisées. On repart sur les pistes, en prenant garde de ne plus faire de boucle : On navigue au soleil (Maëlig trouvera par hasard une boussole dans son sac trois jours plus tard).

La route des pistes est vraiment la plus belle. Et c'est aussi l'occasion de rencontres exceptionnelles : on n'a pas su compter le nombre d'auto-stoppeurs qu'on a embarqués pour quelques kilomètres ou centaines de mètres, pris en pleine cambrousse et déposés au milieu de nulle part. Les uns après les autres, ils parlent de moins en moins anglais. Notre swahili est déplorable, mais on a appris l'essentiel des gestes ("Oui oui, c'est par là..." - "Arrêtez vous" - "Je vais finir à pied, mon village est ici, derrière ce buisson" - "Faites voir votre montre").

Au fur et à mesure, les veillards à qui on offre un bout de chemin ont l'air de plus en plus intrigués par ma montre à aiguilles : ils n'ont que des montres à quartz. Un autre est hilare de voir que j'ai des poils sur les bras, et pleure de rire quand je lui dévoile mes mollets... L'une des plus belles rencontres sera aussi notre record : six femmes endimanchées revenant d'un genre de conseil municipal qui avait eu lieu à une dizaine de kilomètres de chez elles. Cette fois-là, nous avons miraculeusement réussi à tous tenir sur la banquette arrière, et j'étais le septième.

Je me souviens enfin d'un enfant de 12 ans qui rêvait d'aller étudier l'économie et les sciences politiques à Nairobi, "pour devenir comme Barak Obama".

Prudents, on se fait confirmer à chaque fois qu'on est sur la bonne voie. On passe Kiserian et Ngong, on traverse Nachu sans même le remarquer. On prend la B3 (en rouge) et on bifurque avant Suswa pour rejoindre Narok par la piste. Tout le monde nous l'a déconseillé, mais l'autoroute est encombrée de camions qui roulent à tombeau ouvert. On choisit la route buissonnière.

C'est là, à une poignée de kilomètres de Noolpopong, juste après avoir abandonné l'enfant dans la brousse que l'orage craque.

Les trombes d'eau transforment en un instant la piste en boue ruisselante, les bords de route en cours d'eau. La voiture patine, s'embourbe, quitte la chaussée, et plus d'une fois on pense ne jamais pouvoir repartir. Le bord de la piste se creuse, et on devine bientôt à nos côtés le lit d'une rivière asséchée dans lequel il vaudrait mieux ne pas déraper... On roule à 10 km/h en pointe. La nuit est tombée. Et on ne voit aucun village approcher. À chaque virage, à chaque hauteur ou obstacle on se promet qu'on verra bientôt les lumières d'une ville. Mais rien : on roule plus de 3 heures, et on ne voit rien venir. On a faim. On a sommeil. On a épuisé toutes nos anecdotes rassurantes. On ne rigole plus. Je compte et recompte les kilomètres qui nous séparaient de la ville suivante.

On est milieu de la nuit, au milieu de nulle part.

Après plus de quatre heures de patinage dans la boue, résignés à dormir dans la voiture sur le bas-côté, on finit par arriver dans un village éteint. Ceux qu'on a réveillés sont interloqués : ici, ça fait quatre mois qu'on n'a pas vu de Blancs. On s'excuse, on s'explique.

Je montre la carte pour comprendre où l'on est. Les hommes se consultent et pointent le doigt sur... Mosiro. On est vraiment au milieu de nulle part, on a pris la route dessinée en blanc invisible sur la carte, on est à 70 km de la ville la plus proche.

KENYA_Lost_Mosiro

Puisque c'est impossible pour nous de reprendre la route des ravins, on décide de dormir dans la voiture, sur la place du village, si ça ne gène pas. À nouveau les hommes parlementent, puis nous offrent de dormir dans l'école. Ainsi on passera la nuit par terre, allongés au milieu des pupitres sous les dessins bienveillants des enfants de la région ("Our home" : des maisons avec des lions !).

Il n'y a pas d'électricité dans le village, ni d'eau courante, ni de Coca. On ne trouve que de la bière. C'est réconfortant, mais pas pratique pour se brosser les dents. Finalement, exténués, alors que tout le monde s'est recouché, on finira par se doucher sous la pluie glaciale, à poil au beau milieu de la nuit dans la cour de l'école.

Le lendemain matin, c'est dimanche. On conduira l'instituteur qui nous guidera jusqu'à la ville.

De toutes ces aventures inoubliables nous n'aurons finalement ramené aucun cliché : notre troisième appareil photo sera volé à l'aéroport.

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